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Les impacts du numérique mondial
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Le numérique est responsable d’environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre [GES], soit davantage que l’aviation civile. La dégradation du climat n’est pas la seule conséquence de cette utilisation massive du numérique. Consommation de l’eau, dégâts engendrés par l’extraction des métaux : dans le monde, en vingt-cinq ans, le tonnage extrait de cuivre ou de zinc a plus que doublé. Si le numérique était un pays, il aurait deux à trois fois l’empreinte de la France.
Calculer l’empreinte du numérique n’est pas simple. Les équipements sont dispersés, divers et variés. Depuis quinze ans, Frédéric Bordage, fondateur et animateur de GreenTI.fr, réalise de nombreuses études sur les impacts environnementaux du numérique en se basant sur une méthodologie d’analyse du cycle de vie [ACV]. « On observe un triplement des impacts environnementaux du numérique en quinze ans, entre 2010 et 2025, déplore Frédéric Bordage. Pourquoi ? Nous sommes passés d’un usage informatique professionnel à un usage pour les particuliers, un marché aux débouchés importants, avec un suréquipement des ménages. Désormais les pays émergents s’équipent également. Ce n’est que le début du tsunami. À cela s’ajoute tous les objets connectés qui ne cessent de croître. Il y a désormais bien plus d’informatique partout autour de nous que dans notre ordinateur. En plus de cette augmentation de notre consommation d’équipements numériques, le numérique est un accélérateur du temps et de l’économie, il nous pousse à consommer plus. »
« Le numérique est très symptomatique du développement de notre économie, fondée sur la production et l’accélération, ajoute Françoise Berthoud, chercheuse au CNRS. C’est un emblème du fonctionnement de nos sociétés. »
L’humain au risque de l’intelligence artificielle, de Pierre Rabhi & Juliette Duquesne – Huitième partie – La plus grande limite de l’IA : la pollution numérique – Pages 171 & 172
Après cette introduction empruntée au livre L’humain au risque de l’intelligence artificielle, voici quelques références récentes et fiables qui donneront une idée assez précise de la situation actuelle quant aux impacts annuels du numérique au niveau mondial.
Le rapport GreenIT.fr « Empreinte environnementale du numérique mondial »
Source : « Empreinte environnementale du numérique mondial » (2019) – Frédéric Bordage, GreenIT.fr
En 2019, le numérique mondial représente un 7ᵉ continent de la taille de :
→ 2 à 3 fois celle de la France (selon l’indicateur environnemental observé) ;
→ et jusqu’à plus de 5 fois la France si on considère d’autres indicateurs (masse, etc.).
Sa contribution à l’empreinte de l’humanité est loin d’être négligeable :
→ Consommation d’énergie primaire (EP) : 4,2 %
→ Émissions de gaz à effet de serre (GES) : 3,8 %
→ Consommation d’eau (eau) : 0,2 %
→ Consommation d’électricité (Elec.) : 5,5 % (*)
Rapporté à des usages quotidiens, cela revient à :
→ GES : 1,5 milliard de salariés français allant travailler pendant 1 an ;
→ Eau : 242 milliards de packs d’eau minérale (9 litres) ;
→ Élec. : 82 millions de radiateurs électriques (1000 watts) allumés en permanence. (*)
(*) La consommation électrique n’est pas un indicateur environnemental pertinent.
L’empreinte environnementale du numérique mondial est de l’ordre de :
6 800 TWh d’énergie primaire (EP) ;
1 400 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) ;
7,8 millions de m³ d’eau douce (Eau) ;
22 millions de tonnes d’antimoine (ADP).
Indicateurs techniques et de flux :
223 millions de tonnes (masse), soit 179 millions de voitures de 1,3 tonne !
1 300 TWh d’électricité consommée
Ces ordres de grandeurs – de 0,2 à 5,6 % de l’empreinte globale de l’humanité – peuvent paraître faibles. Mais si le numérique était un pays, il aurait environ 2 à 3 fois l’empreinte de la France.
⇒ Pages 9 & 10 du rapport GreenIT.fr « Empreinte environnementale du numérique mondial » (2019)
Le livre « L’impératif de la sobriété numérique » de Fabrice Flipo
Les chiffres cités ci-dessus dans le rapport de GreenIT.fr l’émission de GES du numérique mondial sont du même ordre de grandeur que ceux avancés par Fabrice Flipo dans l’introduction de son livre « L’impératif de la sobriété numérique », paru aux Éditions Matériologiques en novembre 2020. Introduction dans laquelle Fabrice Flipo fait également le constat d’une augmentation continue de la production de GES, ce en dépit des belles ‘promesses’ de l’industrie numérique qui prédisait une réduction des émissions de GES résultant justement des avancées des technologiques permises par la numérisation de nos sociétés et des process industriels qui les sous-tendent… Et cette croissance continue des émissions de GES va très clairement dans le sens opposé de ce qu’il conviendrait de faire pour répondre à « l’urgence climatique », nous alertent de nombreux chercheurs et experts
Puisque nous sommes en 2020, nous pouvons constater que les émissions du secteur TIC ont été assez bien anticipées : elles s’élèvent à 1,5 milliard de tonnes de carbone, soit 3 % des émissions de GES planétaire, 50 % de plus qu’en 2007.1) Mais les gains sur les autres secteurs ne se sont pas réalisés.2) Au contraire 2019 a été une année record (figure 2). […] La digitalisation du monde est incontestable. Mais les réductions espérées ne se sont pas produites. Pire, les émissions ont augmenté. Cela alors que le Giec se montre chaque fois plus alarmant, dans ses rapports, et que les chercheurs en écologie Steffen et Rockstrom3) montrent que nous nous approchons d’un basculement global (« tip-ping point »), qui sera meurtrier (figure 3).
Pourquoi une telle erreur, très lourde de conséquences ? La raison est simple : le numérique a continué d’être ce qu’il est : une troisième révolution industrielle, un moyen de produire et de consommer plus. De ce fait, les gains en efficacité qui ont pu être obtenus ont été compensé par la croissance des consommations permises par ailleurs, comme l’établit une étude récente (2020).4)
« L’impératif de la sobriété numérique » – Fabrice Flipo – Éditions Matériologiques – Novembre 2020 – Pages 22 & 23
- Figure 2 :
Figure 2 – Évolution des émissions de gaz à effet de serre.
Source : UNEP, Emission gap report, 2020, p. 4. [PDF – 9,9 Mio]
- Figure 3 :
Figure 3 – Un possible effet de seuil et de perte de contrôle du système Terre.
Source : Steffen, Will et al., « Trajectories of the Erath System in Anthropocene », PNAS USA 115(33), août 2018, p. 8252.
- En complément, lire l’article « Points de basculement dans le système climatique » sur Wikipédia.
- Ou encore l’article « Climat : la Terre se rapproche de "points de basculement" irréversibles » sur Usbek & Rica – Annabelle Laurent – 03/12/2019
- À propos du rapport SMART 2020 et de « l’effet rebond » :
Pourtant, en 2008, le rapport SMART 2020 du Global e-Sustainability Initiative (GESI) estimait que les technologies numériques pouvaient permettre une réduction de 15 à 30 % des GES mondiaux d’ici 2020. Force est de constater que les GES globaux n’ont cessé de s’accroître depuis, tout comme la part des GES attribuables aux technologies numériques, lesquels représentent désormais plus de 4 % des GES mondiaux. L’une des failles de ce rapport est de ne pas prendre en compte les conséquences liées à l’effet rebond.
« L’effet rebond : la face cachée du bilan environnemental des technologies numériques » sur www.ethique.gouv.qc.ca – 26/02/2021
Le rapport The Shift Project « Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G »
3 – Consommation énergétique : une croissance problématique
Il en ressort que la consommation d’énergie finale du numérique dans le monde augmente d’environ 6,2 % par an (période 2015 à 2019). Ce taux de croissance correspond à un doublement en 11 ans et est appelé à augmenter dans tous les scénarios n’intégrant pas un changement volontariste dans les pratiques de consommation (trafic, terminaux).
En ce qui concerne la consommation d’énergie primaire, nos nouvelles simulations confirment nos précédents résultats : la part du numérique dans la consommation d’énergie primaire (elle-même en croissance de 1,5 % par an) pourrait doubler en l’espace de 10 ans et dépasser 9 % ; elle est déjà supérieure à 5 % en 2020.
⇒ Pages 12 & 13 du rapport « Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G » – 30/03/2021 – The Shift Project
4 – L’empreinte carbone mondiale du numérique
Tout en tenant compte de l’évolution de l’intensité carbone de la production énergétique (et électrique) mondiale, nous estimons que la part d’émissions de gaz à effet de serre (GES) attribuable au numérique est passée de 2,9 % en 2013 à 3,5 % en 2019 (1,84 Gt).
Ce chiffre est légèrement inférieur à notre estimation faite en 2018 (environ 2,1 Gt) mais il est toujours du même ordre de grandeur que ceux relatifs à des secteurs réputés beaucoup plus consommateurs d’énergie carbonée et dont l’empreinte matérielle est réputée bien plus grande : la part d’émissions de GES des véhicules légers (automobiles, motos…) est d’environ 8 % en 2018, et celle du transport aérien civil d’environ 2,5 % en 2018.
Encore plus préoccupant, le taux de croissance des émissions de GES dues au numérique est d’environ 6 %, avec un risque important de passer à 9 % à court terme. En effet, cette croissance doit s’analyser dorénavant au regard des objectifs de réduction des émissions de GES tels que définis lors de la COP 21 et précisés depuis par les rapports du GIEC et de l’UNEP. Ceux-ci indiquent clairement que les émissions annuelles de CO2 fossiles doivent être réduites de moitié d’ici 2030 pour préserver les chances de maintenir le réchauffement en deçà de 2° C. Alors que l’on peut donc espérer une baisse graduelle des émissions de GES totales à court terme, la part du numérique dans ces émissions va continuer à augmenter et pourrait doubler d’ici 2025 pour dépasser 7 %.
⇒ Page 14 du rapport « Impact environnemental du numérique : tendances à 5 ans et gouvernance de la 5G » – 30/03/2021 – The Shift Project
Guide de l’ADEME « La face cachée du numérique – Réduire les impacts du numérique sur l’environnement »
La galaxie numérique : bienvenue dans le réel
Qu’est-ce qui se cache derrière le numérique, devenu indispensable et évident à l’usage, mais dont le fonctionnement reste souvent obscur ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’a rien d’immatériel ! Et que ses impacts environnementaux sont bien réels ! Ce secteur est responsable aujourd’hui de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et la forte augmentation des usages laisse présager un doublement de cette empreinte carbone d’ici 2025.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par le numérique
→ 25 % dues aux datacenters
→ 28 % dues aux infrastructures réseau
→ 47 % dues aux équipements des consommateurs (ordinateurs, smartphones, tablettes, objets connectés, GPS…)
15 000 km, c’est la distance moyenne parcourue par une donnée numérique (mail, téléchargement, vidéo, requête web…)
⇒ Page 4 – « La face cachée du numérique – Réduire les impacts du numérique sur l’environnement » [PDF – 612 Kio] – ADEME – Janvier 2021
Étude « Sur l’utilisation mondiale d’électricité des technologies de communication : Tendances jusqu’en 2030 »
Titre original : « On Global Electricity Usage of Communication Technology: Trends to 2030 »
Cette étude publiée en avril 2015 – à laquelle fait également référence Fabrice Flipo dans « L’impératif de la sobriété numérique » [voir pages 207 et suivantes], et sur laquelle se basent aussi, en partie, les études The Shift Project5) –, est également interpellante dans la mesure où elle prévoit, pour 2030, et dans le pire des scénarios, une consommation d’électricité du secteur numérique qui pourrait dépasser les 50 % de l’électricité produite au niveau mondial, soit plus de 30 000 TWh
Comme le montre la figure ci-dessous – extraite de l’étude, page 138 (p. 22 du PDF) –, la part de la consommation électrique au niveau mondial du secteur des technologies de la communication est estimée, selon le scénario envisagé, dans une plage qui va de 8 % à 14 % en 2010, de 6 % à 21 % en 2020 et de 8 % à 51 % en 2030.
Soit pour 2030, entre 8 265 TWh [Expected (CAGR 7%)6)] et 30 715 TWh [Worst Case (CAGR 13%)], ce que montre la figure 7 « Global electricity demand of communication technology 2010–2030 » sur la même page du rapport. Or, la même étude prévoit que la quantité d’électricité renouvelable dans le mix mondial sera de 10 879 TWh, soit juste un peu plus que le tiers de l’électricité consommée par le numérique si l’on prend en compte le scénario du pire [Worst Case] avec une croissance de 13 %. En considérant simplement le scénario tendanciel actuel – scénario sans changement politique majeur – [Expected (CAGR 7%)], on arrivera en 2030 à une situation ou plus de 75 % de l’électricité d’origine renouvelable, estimée à 10 879 TWh, sera consommée par le numérique, cette dernière étant estimée à 8 265 TWh – voir les figures 6 et 7 du rapport, page 21 du PDF.
Fabrice Flipo en fait une analyse assez similaire :
Si l’on se tourne vers l’avenir, Anders Andrae et Thomas Edler proposent trois scénarios à 2030, qui jouent sur le nombre de produits connecté, la puissance de calcul total appelée ou encore les gains espérés en efficacité énergétique dans l’ensemble du système technique. Le scénario « attendu » (« expected ») se contente de prolonger les tendances actuelles et arrive à 20 % de la consommation mondiale d’électricité en 2030 (autour de 3 % de la consommation d’énergie), avec une pente ascendante assez forte, en 2030 ; d’où une forme proche d’une exponentielle, dont la caractéristique est de démarrer lentement et d’accélérer. Si l’on prolonge cette courbe à la main, le numérique absorberait en 2050 autant d’énergie que la totalité consommée dans le monde en 2020. Et ce n’est que le scénario « attendu », pas le pire. La trajectoire la plus énergivore, parmi celles qui sont possibles, anticipe un ralentissement des gains en efficacité énergétique : elle aboutit à une consommation de 50 % de l’électricité globale dès 2030.
« L’impératif de la sobriété numérique » – Fabrice Flipo – Éditions Matériologiques – Novembre 2020 – Page 208
Source :
« On Global Electricity Usage of Communication Technology: Trends to 2030 » – 30 April 2015 –
Andrae, Anders S.G., and Tomas Edler. – Challenges 6, no. 1: 117-157. https://doi.org/10.3390/challe6010117
La très grande « matérialité » du numérique !
Le numérique, en plus des quantités colossales d’énergie consommées, c’est aussi très loin de correspondre à l’image « immatérielle » et « virtuelle » que l’on s’en fait ! – On associe généralement le numérique au « cloud », ou nuage en français…
Au contraire, il s’agit avant tout, pour la fabrication de nos objets numériques en tout genre, de commencer par l’extraction des ressources minières par milliards de tonnes afin de produire les éléments qui les composent. L’électronique d’aujourd’hui a besoin d’une grande variété de métaux et terres rares, qu’il faut aller chercher dans des mines de plus en plus profondes… Et, tant les phases d’extraction que celles du raffinage et de la mise en œuvre des composants finaux, nécessitent des quantités importantes d’énergie – encore une fois –, ainsi que pour diverses opérations, des quantités très importantes d’eau, ce que l’on a souvent tendance à oublier.
De toutes les industries, celle des TIC est de loin la plus gourmande en ressources par unité de production : matériaux, métaux, énergie, eau, produits chimiques. Un exemple frappant : le silicium, matériaux emblématique de l’industrie électronique. La production d’une simple puce électronique pour une barrette de mémoire de 32 bits pesant 2 g nécessite 1 600 g d’énergie fossiles secondaires, 72 g de produits chimiques, 32 000 g d’eau, 700 g de gaz élémentaires (essentiellement N2) ; par ailleurs il faut 160 fois plus d’énergie pour produire du silicium de qualité électronique que dans sa forme basique, c’est le prix de la purification (Williams, 2002a). Bien entendu, depuis cette étude, des progrès ont été réalisés pour réduire la quantité des intrants dans le processus de fabrication du silicium. Mais les produits high-tech connaissent un engouement qui ne se dément pas et tout concourt à leur remplacement le plus rapide possible. Aussi malgré les progrès techniques, devant l’explosion de la demande, la quantité globale de matières premières nécessaire va continuer d’augmenter. C’est le cas du charbon qui fait partie des intrants dans la production du silicium : entre 1998 et 2020 la production mondiale de wafers7) en silicium passera de 24,5 à 133 milliards de cm², ce qui contribuera à l’augmentation de la consommation de charbon de 4,5 à 6,9 milliards de tonnes (Williams, 2003). Cet exemple illustre l’effet rebond, ou comment la progression constante de la demande annihile les avancées technologiques visant à modérer les impacts des produits électroniques.
Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication – Groupe EcoInfo du CNRS, 2012 – Chapitre 1 : Les impacts – 1.1 Épuisement des ressources naturelles – Pages 21 & 22
[…] Les industries minières et électroniques sont extrêmement énergivores. L’industrie minière a principalement recours au pétrole (exploration, extraction,…). En ce qui concerne les métaux, 8 à 10 % de l’énergie primaire8) mondiale sert à les extraire ou les raffiner (Bihouix, 2010). À titre d’exemple, produire une once d’or (31 grammes environ) en Afrique du Sud nécessitait en 1994 l’extraction de 3,3 tonnes de minerai, 39 heures de travail, 5,4 m³ d’eau, 572 kWh, 12 m³ d’air comprimé. Les mines d’or sud-africaines consommaient 18 milliards de kWh soit 1/5 de la production d’électricité d’Afrique du Sud et 1/10 de la production d’électricité du continent africain. Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut dans ce chapitre, la concentration en métal dans le minerai diminue. L’or n’échappe pas à cette règle : la teneur moyenne d’or dans le minerai sud-africain est passée de 10 g/tonne en 1970 à moins de 5 aujourd’hui. Il est donc facilement compréhensible que les quantités d’énergie, comme celle d’eau, de production de déchets ainsi que l’ensemble des impacts environnementaux soient en nette augmentation.
Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication – Groupe EcoInfo du CNRS, 2012 – Chapitre 1 : Les impacts – 1.1 Épuisement des ressources naturelles – Pages 31 & 33
Questionnement…
À la lecture des chiffres que nous apprennent les différentes études citées ci-dessus, les questions pertinentes qui viennent à l’esprit sont probablement celles-ci :
Considérant l’impératif des changements rapides et radicaux à effectuer dans nos modes de vie pour infléchir la tendance actuelle du réchauffement climatique – et a minima tenter de le faire –, peut-on pendre le risque de voir la consommation électrique du secteur numérique grimper jusqu’à 50 % de la production électrique mondiale en 2030 ? Et avec cette consommation électrique pléthorique, voir la production de gaz à effet de serre [GES] continuer de progresser ? Alors que l’objectif annoncé est justement de réduire la production de GES d’au moins 55 % d’ici à 2030 ?
N’est-il pas grand temps d’adopter une politique radicale – radical dans le sens de plus vite, plus fort, plus loin – afin de réduire drastiquement nos usages numériques pour que ce secteur ne « dérape » pas ? N’est-il pas urgent que chacun d’entre nous « change de logiciel » – au sens figuratif du terme –, et participe dans ses actions quotidiennes à cet effort collectif qu’il convient de mener afin que la réduction des impacts climatiques soit également de mise dans le secteur des TIC ?
N’est-il pas temps d’arrêter de faire l’autruche ? Quand une étude nous apprend, que dans un scénario « à politique inchangée », mais aussi avec une croissance qui reste « modérée » (7 %) et ne s’emballe pas vers « le pire » (13 %), 75 % de l’électricité d’origine renouvelable sera très probablement engloutie par le secteur numérique en 2030 si l’on souhaite que les TIC soient « propres » quant à leur approvisionnement énergétique ?
Est-ce compatible, avec la volonté actuelle de nos industriels – et de nos politiques qui leur emboîte le pas – de nous pousser, en vue de la « transition énergétique », vers une mobilité « propre » dans laquelle la voiture électrique sera appelée à occuper une place importante ? Comment sera-t-il possible d’alimenter nos voitures avec de l’électricité « verte » si le secteur numérique veut aussi afficher l’étiquette « Green IT » et accapare pour ce faire la majeure partie de la production électrique d’origine renouvelable ? Ne semble-t-il pas utopique de vouloir mener ces diverses « révolutions » de front sans remettre en question nos modes de vie ?
Alors que depuis 1970, vu globalement, « le jour du Dépassement de la Terre » survient chaque année un peu plus tôt, que la Belgique est dans le top 10 des « mauvais élèves » au niveau mondial, avec un mode vie qui nécessiterait une consommation annuelle de 4 planètes si tous les habitants de la terre devaient vivre comme nous – donc avec un jour du dépassement survenu le 30 mars en 2021 pour nous “petits belges” –, n’est-il pas grand temps d’inverser la tendance ?
Quand de rapports en rapports, le GIEC 9) et les nombreux scientifiques qui y travaillent nous alertent sur « l’urgence climatique », soit le fait que les changements induits par le réchauffement climatique sont de plus en plus conséquents et de plus en plus rapides par rapport aux prévisions initiales, peut-on encore attendre avant de s’engager concrètement dans des actions significatives10) pour « renverser la vapeur » ? Le premier volet du 6ᵉ rapport du GIEC publiée le 9 août 2021 devrait peut-être – espérons-le ! – nous y pousser…11)
Et pour ce qui est du niveau de l’école obligatoire et de l’éducation en général, n’est-il pas tout aussi nécessaire et urgent d’y accompagner nos jeunes dans la création d’un « nouvel imaginaire » qui ne soit pas axé sur notre dépendance aux outils numériques et la surconsommation d’énergie et de matières premières qu’elle engendre
En guise de conclusion…
Comme les livres « The Limits to Growth » et de nombreux autres experts l’ont déclaré : l’humanité a besoin d’un changement de valeurs et de priorités afin d’atteindre un équilibre global. Mais le changement de nos priorités sociétales ne doit pas être une capitulation devant la sinistre nécessité. Un monde dans lequel l’activité humaine est régénératrice plutôt que rapace n’est pas seulement un monde dans lequel l’effondrement est évité, c’est un monde dans lequel notre environnement naturel est plein de vie.
Les graphiques dans « The Limits to Growth » montrent comment la société serait plus stable dans le scénario d’un “monde stabilisé”, mais pas dans quelle mesure ses citoyens seraient plus prospères. Les équations de World3 – le modèle utilisé par les auteurs de The Limits to Growth – ne rendent pas compte de l’amour inné de l’homme pour la nature dans toute son abondance et sa diversité, et de la douleur que nous ressentons lorsque nous en perdons une partie à jamais.
D’ici à ce que la prochaine comparaison de données permette de montrer un meilleur ajustement avec les courbes, davantage de choses auront été perdues et un changement de cap sera plus difficile, voire impossible. Le moment est venu de choisir délibérément l’équilibre global avec la nature sous toutes ses formes, y compris les autres humains. Non pas parce que nous ne pouvons pas survivre sans certaines parties de la nature, bien que cela soit fort possible, mais parce que nous aimons la vie plus que la croissance.
Traduction de la fin de la conclusion de l’étude « Update to Limits to Growth: Comparing the World3 Model with Empirical Data » [PDF – 2,6 Mio] [en] – Gaya Branderhorst – Harvard University – Mars 2020 – Page 64 (p. 80 du PDF)
- À propos de l’étude de Gaya Branderhorst citée ci-dessus, lire aussi l’article « En 1972, un modèle du MIT a prédit l’effondrement de notre civilisation pour 2040, et jusqu’ici il ne s’est (presque) pas trompé » – RTBF Info – 30/07/2021
- « The Limits to Growth » ou « Les limites de la croissance », est aussi connu sous le nom de « Rapport Meadows du Club de Rome », rédigé en 1970-1971 par Dennis Meadows et son épouse Donella, ainsi que deux de leurs collègues, tout quatre chercheurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT). À propos de ce rapport, voir le documentaire « Dernière alerte, 40 ans après "Les limites de la croissance" – Rapport Meadows du Club de Rome » disponible sur YouTube.
Quelles sont les solutions ? Se diriger résolument et « radicalement »12) vers la sobriété numérique est très certainement un choix judicieux.
Même s’il est certain, qu’à elle seule, la sobriété numérique ne sera pas suffisante pour réduire aussi drastiquement que nécessaire les impacts négatifs de l’activité humaine sur notre seule et unique planète, réduire nos usages des technologies numériques est cependant un axe significatif que nous pouvons toutes et tous facilement mettre en pratique au quotidien
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